Voir la Lémurie surgir, ruisselante, des fonds bleus de la carte de l’océan Indien : c’est l’expérience fracassante que Jules Hermann entend partager avec son lecteur dans ce quatrième livre des Révélations du Grand Océan. Et sans doute, la Recherche des fracassements du sol dans la mer des Indes apporte-t-elle une nouvelle couleur à l’œuvre mythologique d’Hermann : désormais, le rêve de la Carte secrète hante l’Oncle Jules, qui accumule les Atlas, se penche dangereusement sur les fonds de la mer Indienne, et produit tout au long de ce Livre IV les cartes de La Réunion, de Madagascar, de Maurice, avant de réunir les fragments d’un ultime croquis manuscrit, à la dernière page — on l’a deviné, c’est bien la Lémurie qui émerge enfin des flots de signes, d’indices, de reliques et de traces du continent disparu rassemblés ici par Hermann.
Par un étonnant effet de métamorphose, l’image fixe de la mappemonde s’est muée sous l’œil de l’auteur en une reconstitution cinématographique de l’histoire de la Terre. Sous l’influence de la théorie de Wegener (la dérive des continents est pourtant unanimement réprouvée du temps d’Hermann), Jules va ainsi assister à la fragmentation de la Pangée, à la séparation du socle lémurien et du Gondwana, puis au naufrage du continent primitif, résultat direct de « l’annexion de la Chine à la Terre » décrite au premier Livre…
Mais ce qui surprendra le plus dans les visions hermanniennes, c’est le constat qu’au-delà des outrances et des surinterprétations manifestes, l’auteur fait montre de stupéfiantes intuitions scientifiques — la dérive des continents, corroborée dans les années 1960 par la tectonique des plaques, l’insistance d’Hermann sur l’étonnante biodiversité des Mascareignes, aujourd’hui classées parmi les points chauds mondiaux en la matière, la découverte d’un arc de civilisation antique dans l’océan Indien, l’hypothèse Lémurie enfin, récemment réapparue à partir de la découverte de fragments d’un socle continental sous l’île Maurice… Et si, nouveau Lucrèce, Jules Hermann, ce rêveur de mondes, avait a posteriori réussi à « ébranler toute théorie et déconcerter la science dans ses enseignements les mieux raisonnés » ?
Présentation de Nicolas Gérodou.