C’est peu dire que le sort de la nature préoccupe nos contemporains. Chaque jour les médias claironnent à qui veut l’entendre que le monde va à sa perte. Les ressources diminuent, le climat se réchauffe, les glaciers reculent, la banquise fond… L’homme a dévasté son environnement, la rengaine est connue.
Du coup, c’est la terreur dans les chaumières. L’apocalypse annoncée d’ici 2100 – inéluctable selon certains – engendre évidemment découragement, dépression et mal-être, ainsi qu’un sentiment de culpabilité. La venue récente d’une épidémie, signe avant-coureur de maux nouveaux, apparaît presque comme une punition du ciel. On se croirait dans une tragédie d’Eschyle, avec un meurtre à expier, celui de la nature, vieille dame dont on propage une conception frileuse.
Au-delà des faits qui ne sont pas contestables (limitation des ressources, impact anthropique sur le climat), on doit faire la part de la réalité et des fantasmes. Il y a peu, on avait de la nature (le mot vient de nascor, naître) une autre idée : fondée non pas sur la rareté mais sur l’abondance, non pas sur l’épuisement mais sur la puissance, non pas sur l’économie mais sur le don et la dépense – bref, la vision d’une certaine prodigalité. Ces idées étaient-elles fausses ? S’appuyant sur la philosophie (Spinoza, Leibniz, Nietzsche et même Bataille), ainsi que sur la science – la physique –, le présent texte entend remettre en mémoire quelques aspects de l’univers qui semblent avoir échappé aux défenseurs de l’idéal ascétique et aux nouveaux prophètes de la fin du monde.